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lundi 13 mars 2023

Mikhaïl Lermontov : Смерть поэта : La mort du Poète

La mort du poète : duel de Alexandre Pouchkine et de Georges d'Anthes
 

En 1837, Alexandre Pouchkine le grand poète russe se bat en duel contre un officier français de l’armée du tsar, alsacien, Georges-Charles Heeckeren d’Anthès qui courtise sa femme Natalia Gontcharova. Celle-ci, coquette, suscite la jalousie du poète mais rien ne semble indiquer qu’elle ait eu réellement une liaison avec l’officier. Cependant la rumeur circule, des lettres anonymes sont envoyées à Pouchkine, les affronts, les provocations, les railleries contre le mari trompé se succèdent. Pouchkine provoque d’Anthes en duel. Celui-ci est militaire, il sort de l'école de Saint Cyr. Il est le premier à tirer et ne rate pas sa cible. Il l'atteint au ventre. Pouchkine ne mourra qu'au bout de deux jours dans d’atroces souffrances. 

 

Natalia Gontcharova : belle et frivole


La lettre anonyme abjecte envoyée à Pouchkine


Quand Alexandre Pouckine meurt, Mikhail Lermontov a 23 ans.  Il ne lui reste plus que quatre ans à vivre et l’émotion qu’il éprouve à l’annonce de la mort de Pouchkine est si violente qu’il prend sa plume et écrit dans l’urgence et la fièvre les 56 premiers vers de ce beau poème intitulé La mort d’un poète qu’il adresse au tsar Nicolas 1er en hommage au poète assassiné. Il réclame vengeance auprès du tsar.

Vengeance souverain, vengeance !
Que la supplique monte jusqu’à toi
Soutiens le droit et punis l’assassin
Fais que son châtiment de siècle en siècle
Proclame la justice en l’avenir
Et fasse la frayeur des criminels

 

Alexandre Pouchkine

Tout en rendant compte de la grandeur du poète, il déplore que les commérages malveillants sur son honneur l'ait poussé à la mort. Il accuse l'hypocrisie de ceux qui, responsables de la fin du poète, feignent de s'en émouvoir. Mais il affirme aussi que Pouchkine a été humilié, persécuté "dès ses débuts" et on verra pourquoi.

Le poète est tombé, prisonnier de l’honneur,
Tombé calomnié par l’ignoble rumeur,
Du plomb dans la poitrine, assoiffé de vengeance ;
Sa tête est retombé en un mortel silence.
 Hélas ! sous le poids des offenses,
     L’aède élu s’est affaissé,
     Comme avant, contre l’arrogance
     Des préjugés, il s’est dressé.
     Le chœur des louanges confuses
     Est vain comme sont vains les pleurs
     Et les pitoyables excuses.
     Le sort a voulu ce malheur...
     Or, c’est vous qui, dès ses débuts,
     Persécutiez son pur génie,
     Pour en rire, attisant sans but
     La flamme où couvait l’incendie.
     Il n’endura pas le dernier
     Cruel outrage à sa personne.

     Son flambeau, hélas ! s’éteignait
     Flétrie son illustre couronne...

dans la traduction de Katia Granoff (Editions Gallimard (Poésie), 1993)

ou  dans la traduction de la poétesse Marina Tsvetaïeva

Sous une vile calomnie
Tombé, l’esclave de l’honneur!
Plein de vengeance inassouvie,
Du plomb au sein, la haine au cœur.
Ne put souffrir ce cœur unique
Les viles trames d’ici-bas,
Il se dressa contre la clique.
Seul il vécut – seul il tomba.
Tué! Ni larmes, ni louanges
Ne ressuscitent du tombeau.
Tous vos regrets – plus rien n’y change,
Pour lui le grand débat est clos.
Un noble don vous pourchassâtes –
Unique sous le firmament,
Incendiaires qui soufflâtes
Sans trêve sur le feu dormant.
Tu as vaincu, humaine lie!
Triomphe! Ton succès est beau.
A terre le divin génie,
A terre le divin flambeau!

Par la suite, j'utilise la traduction de Katia Granoff parce que je la préfère.


Georges d'Anthes, l'assassin de Pouckine

Dans le passage suivant, Lermontov réclame la punition du coupable. Il  accuse tous les étrangers venus en Russie pour briguer les honneurs et faire une carrière militaire de mépriser la Russie, et, dans le cas de d'Anthes, de ne pas même avoir conscience qu'il vient de tuer le Génie russe en la personne d’Alexandre Pouchkine. 
       
      Son meurtrier a froidement
     Braqué sur lui l’arme fatale.
     Un coeur vide bat calmement,
     N’a pas tremblé la main brutale.
     Quoi d’étonnant ? Venu d’ailleurs,
     Il trouvait chez nous un refuge
     Pour capter titres et bonheur,
     Comme d’autres nombreux transfuges.
     Il raillait, en les méprisant
     La voix, l’esprit de notre terre ;
     Sa gloire, il ne la prisait guère
     Et dans ce funeste moment,
     Ni lui, ni d’autres ne savaient
     Sur qui sa main s’était levée...

Pour comprendre ceci, il faut savoir que Pouchkine est considéré comme "le père" de la littérature russe. C’est le premier écrivain moderne à écrire en langue russe en employant la langue populaire, vivante, riche,  savoureuse, (beaucoup écrivait en français, la langue à la mode à l’époque ou en russe en imitant les écrivains étrangers), en remettant à l’honneur les coutumes du peuple russe, en donnant la parole aux paysans, aux "nianias", les nourrices des enfants nobles, qui perpétuent les contes, les croyances et les chants traditionnels russes. Tous les grands écrivains russes, en particulier Tolstoï et Dostoeivsky, lui sont redevables. Il redonne sa dignité et sa grandeur non seulement à la langue mais aussi à tout un peuple en révélant sa beauté et sa vitalité alors dédaignées.
 

Les vers de Lermontov sont aussitôt repris par les amis de Pouchkine,  Ivan Tourgueniev, Vassilisi Joukovsky et tant d'autres … et font grand bruit dans la société où ils provoquent une vive émotion. Ils sont aussitôt recopiés par dizaines de milliers d’exemplaires, et circulent de main en main et sur toutes les lèvres. Les milliers de personnes qui se pressent devant la demeure du poète mourant, défilent devant son cercueil et assistent à son enterrement, les connaissent par coeur.

Mikhaïl Lermontov

C’est donc ce poème qui fait connaître Lermontov et le rend célèbre mais c’est la deuxième partie rédigée plus tardivement, dans un moment de rage véhémente, qui va lui attirer de graves ennuis.
Dans la première partie, on l'a vu, Lermontov accusait déjà les hypocrites qui avaient poussé Pouchkine au duel, en faisant circuler le bruit que sa femme Natalia Gontcharova lui était infidèle mais il ne les nommait pas.


Arrachant sa couronne à ce génie altier,
Ils mirent sur son front la couronne fantôme,
Où l’épine acérée est unie au laurier,
Et qui blessait sa tête à des pointes d’acier ;
Et ses derniers instants, ils les empoisonnèrent
De murmures moqueurs, ô railleurs ignorants !
Il mourut assoiffé de vengeance exemplaire
Et cachant le dépit d’un espoir décevant.

Mais dans les vers qu’il ajoute, non seulement il accuse les ennemis de Pouckine mais il les nomme : ce sont les courtisans proches du tsar, sinon le tsar lui-même, la noblesse et ses rejetons dégénérés qui ne sachant pas reconnaître le Génie, le poursuivent de leur haine, de leurs mesquineries, bafouent son honneur, se moquent de lui et lui rendent la vie impossible.  Et il appelle sur eux la vengeance divine puisqu’il semble que l’on ne peut pas l’attendre du pouvoir ! Il va plus loin encore puisqu’il les accuse d’attenter à la liberté.
Or, il faut savoir que Pouchkine, dès les débuts, a été victime de la dictature tsariste. Alexandre 1er le condamne pour des écrits « séditieux » et il évite de justesse la Sibérie. Exilé, il voyage pendant six ans entre le Caucase et la Crimée avant d’obtenir sa grâce en 1826. N’étant pas dans la capitale, il évite ainsi d’être compromis dans l’insurrection de Décembre 1825 menée par ses amis Décembristes dont il se sent proche. Mais il tombe sous la censure directe du tsar Nicolas 1er qui surveille personnellement tous ses écrits et lui donne même des conseils d’écriture ! Il doit justifier tous ses déplacements auprès des autorités.  Il n'a pas le choix, sa docilité ou l'exil en Sibérie ! La société liée au pouvoir tsariste est donc bien telle que la décrit Lermontov ! C’est ce qu'il décrit dans le Bal masqué et aussi dans son chef d’oeuvre Un héros de notre temps.

Ô vous, ô descendants des ancêtres fameux,

Fameux par leur bassesse et par leur infamie,
Vous foulez à vos pieds les restes des familles
Que la chance offensa dans ses joies et ses jeux.
Le trône est entouré de votre cercle avide,
Bourreaux des libertés, du génie, ô perfides,
Vous qui vous abritez à l’ombre de la loi,
Devant vous tout se tait, la justice et le droit ;
Il est un tribunal, ô favoris du vice,
Vous n’échapperez pas à l’ultime justice !

La médisance et l’or, cette fois, seront vains,
Dieu connaît la pensée et les pas des humains,
Et tout votre sang vil ne pourrait effacer
Le sang pur du poète, injustement versé.

 
Traduit du russe par Katia Granoff

J'ai souligné quelques vers ci-dessus pour mettre en relief l'audace (et l'imprudence) de ces déclarations ! On peut imaginer l’effet que firent ces derniers vers sur le Tsar et son entourage immédiat directement visés par le mépris de Lermontov dans un pays où la liberté est fortement réprimée depuis l’insurrection de Décembre 1825, où les privations des libertés sont étouffantes, la censure toujours présente, la répression sévère réduisant la noblesse à l’oisiveté et l’ennui.

 Lermontov et son ami, Sviatloslav Raievski, qui a diffusé largement ces vers, furent jugés. 

Raievski est exilé en Carélie. Officier dans l’armée russe, Lermontov est expédié au Caucase pour la seconde fois. Un duel l’y avait déjà envoyé une première fois. Là, il se battit contre les tchétchènes pendant les combats qui opposent la Russie expansionniste aux peuples caucasiens.
 

Peinture de Mikhail Lermontov * : Piatigorsk

Mais c’est en vain désormais qu’il demande l’autorisation de quitter l’armée, c’est en vain que sa grand-mère qui l’a élevé, riche aristocrate, implore son retour à Saint Petersbourg. Le tsar ne lui pardonna jamais et refusa même de reconnaître les décorations gagnés au combat, de plus le succès de Un héros de notre temps écrit pendant son séjour au Caucase l’irritait profondément. Lorsque Lermontov mourut à Piatigorsk, tué en duel par Nikolai Martynov, en 1841, le tsar exprima sa satisfaction : « A un chien, une mort de chien » déclara-t-il en privé. 

Nikolai Martinez défia Lermontov en duel parce que celui-ci  se moquait  de lui en le caricaturant.  Mais il semble qu'il ait été aussi encouragé par la noblesse proche du tsar qui voulait régler son compte au poète. Lermontov tirait toujours en l'air lors de ses duels. Nikolai Martinov, lui, a tiré pour tuer.  C'est ce que j'ai lu mais je ne sais pas si c'est avéré.

 *Lermontov était un dessinateur, caricaturiste et peintre amateur de talent. Il est bon musicien et joue du piano et du violon. Il a une érudition qui le rend supérieur à tous ceux qu'il fréquente. On imagine sans peine par la valeur de ses premières oeuvres quelle place il aurait eu dans la littérature russe s'il avait vécu.  Mais il a aussi un caractère épouvantable, il a la satire mordante, caricature ceux qu'il n'aime pas et ils sont nombreux ! Ombrageux, il est prompt à chercher querelle et ne transige pas sur ce qui a trait à l'honneur !  Il se sent profondément décalé par rapport à la société et non seulement il n'a pas peur de la mort mais il la recherche. C'est un homme en souffrance. En fait comme Arbenine et Petchorine, les personnages de sa pièce et de son roman, il méprise cette société vide, inactive, arrogante et cruelle, avide de ragots et qui se nourrit de scandales,  mais il ne peut s'en passer !


Peinture de Mikhail Lermontov *: Caucase

 

*Georges d'Anthès fut jugé mais ne fut pas inquiété. Il rentra en France. Plus tard, il soutint le coup d'état de Napoléon III et en bon valet de son maître, il fit une carrière politique florissante et devint sénateur. Encore un de ceux qui ont envoyé Hugo en exil ! Il a tout pour me plaire, cet homme !


Georges d'Anthès sénateur





dimanche 22 janvier 2023

Camilo Castelo Branco : Amour de perdition

 


 A l'occasion de mon voyage à Lisbonne, je me suis mise à lire ou relire les grands écrivains portugais. J'ai voulu découvrir Les mystères de Lisbonne de Camilo Castelo Branco mais j'ai calé à la lecture : l'histoire de cette femme emprisonnée par son mari pendant des années est certes touchante mais le style trop mélo-dramatique m'a découragée mais j'y reviendrai peut-être.

"Un homme meurt à Rio, laissant dans sa chambre un manuscrit qui commence ainsi : " J'étais un garçon de quatorze ans et je ne savais pas qui j'étais. "

En pleine Lisbonne du XIXe siècle, João, orphelin et interne dans un collège religieux, apprend de l'énigmatique Père Dinis le douloureux secret de sa naissance. Dès lors, entraîné dans une quête où ce qu'il tient pour acquis se révèle incertain, où les personnages endossent des identités multiples au gré des lieux et des époques, le jeune homme n'aura de cesse de démêler l'écheveau de son histoire... 

En attendant de me remettre à la lecture de Les mystères de Lisbonne,  je republie ici un billet consacré à cet écrivain du romantisme : Amour de perdition.

 

 Amour de perdition

Camilo Castelo Branco

 Le livre de Camilo Castelo Branco, Amour de perdition, que j'avais découvert en 2011 m'avait beaucoup plu. Ce roman s'inspire de la vie de l'oncle de l'écrivain mais aussi de sa propre histoire et de son amour interdit pour Ana Augusta  qui l'a conduit en prison.  je republie ici le billet que j'avais écrit, tout étonnée à l'époque, que ce qui nous semble, à nous, lecteurs du XXI siècle, des poncifs du romantisme, corresponde, en fait, à la réalité et même à une réalité tragique. La vie de Camilo Castello Branco est un roman ! Les photographies qui illustraient mon billet en 2011 étaient  les miennes mais elles ont disparu, semble-t-il, irrémédiablement. Je cite donc les sources de celles que je publie ici.

 

Librairie Lello de Porto (intérieur)source

C'est dans cette librairie réputée de Porto, classée patrimoine national, que j'ai découvert Amour de Perdition de Camilo Castelo Branco, une des oeuvres romantiques  les plus célèbres du Portugal. Porté plusieurs fois à l'écran, le roman a été adapté entre autres par Manuel de Oliveira, film, paraît-il, magnifique.




Camilo Castelo Branco, écrivain portugais, écrit Amour de Perdition en prison. C'est sa passion pour Ana Augusta Placido qui le conduit là. La jeune fille que Camilo Castelo Branco a rencontrée dans un bal à Porto est mariée par son père, et malgré son inclination pour le jeune homme, à un riche commerçant plus âgé qu'elle. Huit après ce  mariage, elle le rejoint à Braga et devient sa maîtresse. Les deux amants poursuivis pour adultère prennent la fuite. La jeune femme, à la demande de son mari, accepte d'entrer au couvent pour échapper à la justice et au scandale mais Camilo l'en délivre. Ana est arrêtée en 1860 et le jeune homme se rend à la police peu après. Ils sont tous les deux incarcérés à la Prison de la Relation à Porto.

A propos de Amour de Perdition, Camilo Castelo Branco dira plus tard : " J'ai écrit ce roman en quinze jours, les plus tourmentés de ma vie".
 
 
Porto : Prison de la Relation en 1863 actuellement centre de la photographie

 
 
Le récit se situe au début du XIXème siècle, soit un demi-siècle avant la détention du jeune homme à la prison de la Relation, et a beaucoup en commun, on le comprend, avec la propre histoire de l'écrivain.
Il raconte l'amour contrarié de l'oncle de Camilo, Simon Antonio Bothelo,  épris de sa jeune voisine, Thérèse d'Alburquerque. Le père de Thérèse, Tadeu d'Alburquerque, est  ennemi de celui de Simon, le juge  Domingos Bothelo à qui il voue une haine farouche. Il lui reproche, en effet, de lui avoir fait perdre son procès. Abusant de son pouvoir paternel, il veut contraindre sa fille à épouser son cousin Balthazar. La jeune fille refuse de se plier à la décision de son père. Tadeu décide de l'enfermer dans un couvent. Simon pourrait enlever sa bien-aimée mais persuadé que le destin de sa famille est de connaître le malheur à cause de l'amour, il décide d'accepter sa destinée tout en restant le maître. Il  tue Balthazar, choisissant ainsi la prison et la mort. La toute-puissance de son père commuera la peine capitale en exil. Il mourra sur le navire qui l'amène au bagne et qui a jeté l'ancre face au couvent où Thérèse est en train de s'éteindre. En parallèle à cette héroïne noble, femme forte et déterminée, Camilo Castelo Branco  brosse le portrait d'un autre personnage féminin, Mariana. Elle aussi figure majeure du roman, Mariana est issue du peuple. Servante de Simon, éprise de son maître sans rien espérer en retour,  elle l'assiste sans faiblir dans le malheur, acceptant même de le suivre au bagne, et se jette dans la mer pour ne pas lui survivre.


Ainsi ce récit d'amour fou, de violence, met en scène des êtres entiers, passionnés, qui ne veulent pas composer avec leur destin et préfèrent la mort.
On a souvent comparé Amour de perdition à Roméo et Juliette. Mais le roman est bien ancré dans la société portugaise. Il faut lire la préface de Jacques Parsi -qui est aussi le traducteur de l'ouvrage aux éditions Actes Sud - pour comprendre que tous ces évènements qui nous paraissent appartenir à la tradition un peu conventionnelle du romantisme sont non seulement rejoints mais dépassés par la réalité. Amour contrarié, mariage forcé, enfermement dans un couvent, sombre machination, enlèvement, duel, meurtre, ont été vécus par Camilo et par plusieurs de ses amis. La noirceur du roman est le reflet de la jeunesse de cette moitié du XIXème siècle qui sort perdante d'une guerre civile* où ses idéaux ont été foulés aux pieds.
Au-delà de l'histoire d'amour, j'ai été frappée par  l'âpreté de la peinture sociale. Dans cette société, la loi du plus fort est de mise. On n'hésite pas à se débarrasser de celui qui gêne et on peut le faire impunément si l'on appartient à une famille puissante et surtout si la victime est de condition modeste. Ainsi, lorsque Simon tue les sbires de son rival, avec  son complice, le maréchal-ferrant Jean da Cruz, celui-ci lui fait remarquer que s'ils sont pris, Simon s'en sortira blanchi grâce à son père, le juge, tandis que lui ira à la potence. La description du premier couvent où est enfermée Thérèse est d'une férocité incroyable. Les religieuses hypocrites et doucereuses, sont pleines de fiel les unes envers les autres. Elles dénigrent leurs compagnes dès que celles-ci ont le dos tourné, tout en cultivant leur propre vice : alcool, goinfrerie, amants. La Mère Supérieure couche avec le chapelain et s'endort en faisant ses prières. Thérèse en conclut que si elle veut apprendre la vertu elle doit aller partout sauf dans un couvent. On le voit, la peinture de la  société ne manque pas d'ironie et l'on comprend pourquoi Camilo Castelo Branco a pu passer du romantisme au réalisme dans ses derniers romans.

Je lis dans l'encyclopédie universalis : "Enfin, lorsque le réalisme triomphe au Portugal par la plume d'Eça de Queirós, Camilo sentant son prestige menacé, son domaine ébranlé, se défend par un pastiche truculent de la nouvelle littérature. Bien lui en prit ! Cela donna deux romans très différents de sa manière habituelle : Eusébio Macário (1879) et La Canaille (1880), puis, en forçant moins la note, La Brésilienne de Prazins (1882). Ce dernier livre, histoire d'un mariage forcé dont le dénouement est la folie de la femme, présente un point de départ et maintes situations tout à fait conventionnels et « camiliens », mais la façon de traiter le sujet, la nature des épisodes et la minutie des descriptions en font un véritable chef-d'œuvre de la littérature réaliste d'expression portugaise." ICI    Ceci me rappelle un peu dans Les Maia le pauvre poète romantique Alencar, un peu dépassé, un peu ridicule, dont Eça de Queiros ou plutôt ses personnages se moquent tout en l'aimant bien.  Mais à la différence d'Alencar, Castelo Branco a réussi à s'illustrer dans un genre tout différent de ses débuts.
*Révolte populaire de 1846 qui se prolongea par une guerre civile de neuf mois contre le gouvernement des frères Cabral
Camilo Castelo Branco : Amour de perdition  traduit du portugais par Jacques Parsi édit Actes Sud Babel  roman paru en 1861
 
 Voir le billet de Miriam
 
 
Biographie : extrait de l'article de wikipédia 
 
"La vie agitée de Camilo, comme on l'appelle affectueusement, a été aussi riche en événements et aussi tragique que celle de ses personnages : fils naturel d'un père noble et d'une mère paysanne, il est très tôt resté orphelin. Marié à seize ans avec Joaquina Pereira, il connut d'autres passions tumultueuses, dont l'une le mena en prison : celle pour Ana Plácido qui devait devenir sa compagne. Fait vicomte de Correia-Botelho en 1885, pensionné par le gouvernement, il connut cependant une fin de vie des plus pénibles : perclus de douleurs et devenu aveugle, il finit par se suicider.
À travers son œuvre très féconde (262 volumes), Castelo Branco s'est intéressé à presque tous les genres : poésie, théâtre, roman historique, histoire, biographie, critique littéraire, traduction. On y retrouve le tempérament et la vie de l'auteur : la passion fatale s'y lie au sarcasme, le lyrisme à l'ironie, la morale au fanatisme et au cynisme, la tendresse au blasphème.(...)
Cet écrivain à l'imagination vive, au style communicatif, naturel et coloré, au vocabulaire riche et nuancé, est un maître de la langue portugaise. Amour de perdition, publié en 1862, est, d'après Miguel de Unamuno le plus grand roman d'amour de la Péninsule Ibérique."

 

 

samedi 10 novembre 2018

Honoré de Balzac : L'auberge rouge

Le narrateur et Victorine Taillefer

L’auberge rouge de Honoré de Balzac commence comme de nombreux romans de l’époque romantique par une histoire racontée par un convive, à la fin d’un bon repas. Nous sommes chez un banquier parisien qui a réuni des amis autour de sa table pour honorer Hermann, un banquier allemand, de passage dans la capitale. Et c’est, bien sûr, à la demande d’une "blonde et jeune personne", la fille du banquier, « qui sans doute avait lu les contes d’Hoffmann et les romans de Walter Scott » que le récit ( qui doit faire peur) commence.
Le relation d’Hermann se déroule en Allemagne en 1799 pendant les guerres napoléoniennes. Deux étudiants en chirurgie, militaires français, originaires de Beauvais, rejoignent leur régiment. L’un se nomme Prosper Magnan, l’autre, dont Hermann a oublié l’identité, reçoit pour les besoins du récit le prénom de Wilhem. Tous deux s’arrêtent dans une auberge peinte en rouge et louent une chambre qu’ils doivent partager avec un vieux négociant. Pendant la nuit, Prosper, d’origine modeste, est tenté par une mallette pleine d’argent, une véritable fortune, que le voyageur a placée sous son lit. Il est prêt au meurtre. Effrayé par ses pulsions criminelles, il s’enfuit par la fenêtre et ne revient que lorsqu’il a surmonté son trouble et repoussé la tentation.  Pourtant le lendemain, l’on retrouve le vieillard mort, la tête coupée par un instrument chirurgical qui lui appartient. Wilhem, quant à lui, a disparu; la valise aussi. Prosper est accusé de meurtre et condamné à mort. C’est là qu’il fait connaissance de Hermann. Ce dernier est bien vite convaincu de son innocence…

Le romantisme

David Caspar Freidrich

Balzac se moque des codes traditionnels du romantisme tout en leur obéissant ! Il place le récit d’Hermann en Allemagne, berceau du romantisme, et  prénomme le conteur Hermann  mais ne peut s'empêcher de remarquer ironiquement « comme presque tous les Allemands mis en scène par les auteurs. ». Le voyage des jeunes gens avant l’arrivée à l’auberge rouge donne lieu à la description des paysages accidentés, pourvoyeurs d'émotions fortes,  avec des pitons rocheux escarpés, des eaux tumultueuses, des vertiges et des a-pic que l’on retrouve non seulement chez tous les écrivains de cette époque mais aussi chez les peintres. Des sites « où le pittoresque du Moyen-âge abonde, mais en ruines… » et où « le Rhin bouillonne » au fond des gorges.  Mais ce faisant,  Balzac casse les poncifs du romantisme  en s'exerçant à  la caricature d'Hermann, « un bon gros allemand ».
« En homme qui ne sait rien faire légèrement, il était bien assis à la table du banquier, mangeait avec ce tudesque appétit si célèbre en Europe, et disait un adieu consciencieux à la cuisine du grand Carême. »
Au cours de la nouvelle, le narrateur principal qui écrit à la première personne, interrompt de temps en temps le récit d'Hermann, narrateur secondaire, pour apporter des précisions. On remarque la structure complexe de l’écriture, où le narrateur n°1 commente ce qui se passe dans le présent au moment du récit mais aussi, on le verra, après le récit, et le narrateur n°2 raconte le passé, deux narrations qui s’enchâssent l’une dans l’autre.

Nouvelle policière, gothique ?

Prosper Hermann pris de folie
L’auberge rouge n’est pas à proprement parler un roman policier. Certes, il y a meurtre, mais le lecteur sait tout de suite qui a commis le crime même si tout accuse Prosper. Il n’y a jamais de doute. L’on ne recherche pas le vrai assassin mais l’attitude apeurée d’un des convives observé par le narrateur 1 pendant le récit nous met tout de suite la puce à l’oreille. Pas de suspense donc pour savoir qui est le coupable. Il est à cette table ! C’est la certitude que nous avons.
Pour moi, la nouvelle s’apparente beaucoup plus au roman gothique si prisé chez les Anglais dès la fin du XVIII siècle et si apprécié des romantiques.
Balzac joue, en effet, sur la peur. L’effet fantastique est créé par la crise de folie qui s’empare de Prosper quand il pense à tuer le voyageur. Tout semble se dérouler comme dans un rêve, hors du temps. Le jeune homme perd peu à peu ses repères moraux, le silence de la nuit agit sur sa pensée « qui acquiert une puissance magique ». Plus tard, après sa marche désordonnée au bord du Rhin, il s’endort, calmé, semble-t-il. Mais tout concourt encore à créer une impression d’angoisse, d’étouffement. L’atmosphère est lourde, la terreur étreint Prosper même au plus profond de son sommeil, le bruit de l'eau (du sang?) goutte toute la nuit près du lit du dormeur, enfin vient la découverte macabre : « La tête du pauvre Allemand gisait à terre, le corps était resté dans le lit. Tout le sang avait jailli par le cou. »

Une nouvelle philosophique

L'auberge rouge 1923 film de jean Epstein
Pourtant, c’est en plaçant définitivement L’auberge rouge au sein de La comédie humaine, dans Etudes philosophiques que Balzac révèle la véritable intention de son oeuvre.

Il y est question de culpabilité, pas seulement de celle du véritable assassin qui se révélera être un personnage récurrent de la Comédie Humaine, Frédéric Taillefer, père de la jolie Victorine, dont le narrateur n°1 est amoureux. Mais de celle, plus subtile,  de Prosper qui a commis le crime en esprit. Mais est-on  responsable de ses pensées? Le passage a l’acte, seul, fait-il la différence entre l’innocence et le coupable ?
Enfin, au-delà de cette question, l’épreuve vécue par Prosper ne révèle-t-il pas la part de monstruosité qu’il y a en chacun de nous ? 
La notion de culpabilité entraîne aussi celle du remords et de la souffrance. Balzac montre que la conscience de l’assassin le tourmente tellement qu’il en arrive à se trahir lui-même, en refusant le croiser le regard de son voisin. C’est en jouant aux cartes avec lui que le narrateur n°1 va le confondre, ce qui rappelle l’importance symbolique du jeu de cartes dans une autre nouvelle romantique, comme vecteur de vérité, de bien et de mal, de vie et de mort,  La dame de pique de Pouchkine. Mais en démasquant le coupable, le narrateur fait-il une oeuvre morale et juste comme le lui fait remarquer une dame de sa connaissance : « Pourquoi ne pas laisser agir la justice humaine et la justice divine ? Si nous échappons à l’une, nous n’évitons jamais l’autre ! Les privilèges d’un président de Cour d’assises sont-ils donc bien dignes d’envie ? Vous avez presque fait l’office du bourreau? » Bref ! Quel droit avons-nous de nous ériger en juge ?

Enfin dernière question philosophique : Le narrateur est lui-même puni car il ne peut pas résoudre le dilemme suivant. Comment peut-il épouser Victorine et en s’alliant à elle jouir d’une fortune teintée de sang ?  Le problème moral semble insoluble. Il ne peut se résoudre à sacrifier son amour ni à l'épouser ! C’est pourquoi il  va réunir ses amis pour leur demander leur avis  : parmi eux un juge, un protestant, un curé, un puritain, un philosophe, un avocat, un ancien ministre… On a alors l’impression de se retrouver dans un conte voltairien qui renvoie dos à dos, avec une ironie malicieuse, tous ces personnages marqués par leur milieu social, leur métier, leur religion, et l’on se réjouit de leurs réponses sentencieuses, hypocrites et vides qui ne mènent à rien ! Je vous laisse découvrir la chute finale !

Une LC initiée par Maggie ICI / avec Myriam ICI

Nathalie pour Les secrets de la princesse de Cadignan ICI

 

Nouvelle lecture commune sur Balzac : Le colonel Chabert pour le 8 décembre 2018


vendredi 16 février 2018

Hans Christian Andersen : Peer-La-Chance



Peer-la-Chance de Christian Andersen, publiée en 1870, est la dernière oeuvre de  l’écrivain. Il meurt en 1875.
Malgré le titre qui fait penser à un conte de fées,  Peer-la-Chance est un court roman dans lequel l'auteur met beaucoup de lui-même.

Les inégalités sociales

 

Hans Christian Andersen

Peer naît dans une mansarde le même jour que Félix, fils de riches négociants, dont le grand appartement est situé au premier étage du même immeuble.  Le père de Peer meurt quand il est enfant, sa mère est lavandière. L’éducation des enfants a lieu en parallèle, l’une modeste et étriquée, l’autre luxueuse et raffinée.
Vous pourriez penser que Hans Christian Andersen compose là un roman réaliste et s’insurge contre l’inégalité sociale et l’injustice.  Ce serait bien mal connaître Andersen ! Les deux enfants sont certes élevés différemment, ce qui donne lieu a des comparaisons ironiques qui permettent à Andersen de pratiquer un humour noir  mais l’affection et les soins attentifs dont il est entouré compense pour Peer l’inégalité sociale. L’amour pour Andersen, écrivain chrétien, est finalement ce qu’il y a de plus important. La révolte serait une injure à Dieu.

Pourtant il y a quelques phrases dissonantes que l'enfant pauvre reçoit comme des humiliations; ainsi la mère de Félix juge que le métier d’artiste est « une voie excellente  pour un garçon comme Peer, bien fait de sa personne, honnête et sans avenir ».
Une autre scène, d’ailleurs assez forte, oppose Peer et Félix lorsqu’ils sont plus âgés.  Tous deux, au cours d'un bal, se disputent les faveurs d’une jeune fille. Peer est obligé de s’effacer devant le plus riche. C’est le seul moment de révolte du jeune homme vite maîtrisé pour l’amour de Dieu, de sa mère et de sa grand-mère qui l'en félicitent.
Bref, on voit que Hans Andersen n’a rien d’un révolutionnaire ! Ce qui ne l’empêche pas de porter un regard lucide sur cette société ce qui donne lieu à des portraits très réussis comme ceux, satiriques, du précepteur de Peer et de son épouse, les Gabriel, qui représentent la petite bourgeoisie hypocrite et conventionnelle, dans toute sa suffisance et sa sottise. Le monde de la grande bourgeoisie n’est pas épargnée avec le portrait de la baronne-veuve, cultivée et raffinée, mais vaine et artificielle. Andersen sait manier l'ironie et ne s'en prive pas.
J’ai beaucoup aimé aussi le personnage du maître de chants qui possède grandeur et dignité et une bonté qu’il refuse d’afficher. Il  est juif. Dans cette fin du XIX siècle si antisémite, Andersen se distingue en faisant preuve d’un remarquable respect pour la religion juive et d’une grande ouverture d’esprit quand il commente le Talmud. C’est assez rare pour être souligné.

Une vocation artistique ou littéraire

Andersen lisant ses contes à des jeunes filles (1860)
Le thème principal du roman est la réussite de Peer. Depuis son enfance, Peer a de la chance. Un maître de chant découvre sa voix prometteuse alors que l’enfant est attiré par le chant, la musique et l’opéra après avoir commencé une carrière de danseur.  Plus tard, ses études sont payées par un bienfaiteur et Peer va devenir un grand ténor et un compositeur d’opéra célèbre.
 A travers lui, Hans Christian Andersen revit sa propre réussite dans le monde des lettres. Dans son autobiographie, il affirme :   « Ma vie est un beau conte de fées, riche et heureux ».   Peer est un peu Hans Christian. Tous deux sont nés dans une famille pauvre mais aimante, ont perdu leur père quand ils étaient enfants. Tous deux ont la passion du théâtre, ont commencé la danse, ont été distingués par leur don, sont allés faire des études dans une pension privée grâce à un mécène.Tous deux ont réussi, l’un dans la musique l’autre dans la littérature.  Peer-la-Chance est donc une réflexion sur la vocation, l’accomplissement d’une destinée, sur le sens de l’art et de la littérature. C’est le regard d’un vieil homme qui se retourne sur son passé.

Je dois ajouter que si j’ai bien aimé le roman, le dénouement, abrupt, m’a laissée surprise voire décontenancée. Non, je ne vous le raconte pas!
J'ai pensé qu'Andersen exploitait une veine romantique, celle du bonheur impossible, de la fragilité de toutes choses. J’ai lu par la suite l'explication suivante : Andersen, c’était une inquiétude constante chez lui, pensait que le succès est fragile. Il avait peur de voir son inspiration tarir et de tomber dans l'oubli. Ces personnages émettent souvent l’idée qu’il vaut mieux mourir en plein bonheur.




mercredi 20 décembre 2017

Victor Hugo : Han d'Islande



Han d'Islande est le premier roman de Victor Hugo. Il l'a écrit alors qu'il avait 18 ans et était très amoureux d'Adèle Foucher. Il transpose dans le roman les difficultés que les deux amoureux rencontrent auprès de leurs parents respectifs hostiles à leur mariage. Mais cette transposition est dramatisée par le prisme romanesque qui grandit et magnifie tout.

Ordener,  Ethel et le prêtre

Le roman est donc avant tout une histoire d'amour contrarié. Ordener, le fils du vice-roi est amoureux d'Ethel dont le père, Schumaker, déchu de ses titres, privé de sa fortune par le roi, est emprisonné dans une forteresse avec sa fille. Ordener n'a pas révélé son identité, son père faisant partie des ennemis de Schumaker mais il promet de sauver ce dernier d'un complot qui vise à le faire condamner à mort. Pour cela, le jeune homme doit  retrouver une cassette dérobée par Han d'Islande. Elle contient des papiers qui prouveront l'innocence de Schumaker. N'écoutant que son courage le jeune homme se lance aux trousses du monstre.

Han d'Islande et son ours

Victor Hugo dit avoir eu pour modèle Walter Scott très apprécié des romantiques pour ses romans historiques et couleur locale. Le jeune auteur, en effet, place l'action dans la Norvège de la fin du XVII siècle sous le règne de Christian VI. Il n'est jamais allé dans ce pays mais par contre il connaît bien la culture scandinave, la mythologie et l'Edda, un des textes anciens fondamentaux.
Mais plus que Scott, ce sont les romans gothiques d'Ann Radcliffe et Lewis qui semblent l'inspirer. Ainsi le monstre Han d'Islande dont l'origine semble être divine, est mi-homme, mi-bête. Doté d'une force surhumaine et d'une intelligence démoniaque, il aime le Mal pour le mal.  Il prête à sourire, du moins pour le lecteur moderne, quand il arrache le crâne de son fils assassiné et s'en sert pour boire le sang de ses victimes. Cela m'a rappelé une histoire vraie, celle-là, racontée par Théophile Gautier dans son Histoire du romantisme.  Avec ses amis appartenant comme lui au petit cénacle, tous admirateurs passionnés de Victor Hugo,  ils buvaient de la bière dans un crâne que Gérard de Nerval avait volé à son père, médecin aux armées! Ils auraient tous aimé que ce fût le crâne d'une belle demoiselle morte de phtisie mais hélas ! c'était plus vraisemblablement les restes d'un soldat moustachu, mort au combat ! 

A cela Victor Hugo ajoute un intrigue politique. Les mineurs opprimés par la tutelle royale se révoltent pour s'en libérer.  Orderner, un peu malgré lui se trouvera mêlé à ces mineurs et à la bataille féroce qui les oppose aux armées royales. Mais les mineurs sont-ils vraiment coupables ?  Apparaît   la sympathie que Hugo manifestera envers les humbles et les misérables.
On y trouve d'ailleurs déjà de nombreux thèmes chers à sa maturité : dans les personnages, Orderner, noble, courageux, solitaire, est une sorte de brouillon d'Hernani et, si ce n'est pas lui qui est proscrit, c'est sa fiancée et son beau-père ! Ethel, vertueuse, courageuse et douce est une Dona Sol avant la lettre !  De même le thème du monstre est déjà présent que l'on retrouvera dans L'homme qui rit ou Notre-Dame de Paris.
Les réticences de Hugo envers la peine de mort sont aussi traitées dans Han d'Islande et développées à travers le personnage du bourreau et les condamnations à mort du dénouement.

Ajoutons qu'il y a quelques belles scènes bien menées lorsque Ordener et son compagnon de voyage se retrouvent dans la maison du bourreau et de sa femme au milieu de l'orage ! Brrrr ! Ou encore de vraies scènes de comédie quand le bourreau discute des bons côtés de son métier avec Han d'Islande ! Ou quand celui-ci marchande le prix de son cadavre au bourreau et le roule dans la farine !
Le roman n'est certainement pas le meilleur de Victor Hugo. On a parfois l'impression qu'il part un peu dans tous les sens tant il est complexe par la multiplicité des intrigues, le grand nombre de personnages, la structure du roman. En effet, Hugo croise les récits racontant l'histoire des personnages dans des espaces différents mais sans respecter l'ordre chronologique. Ce qui n'empêche pas l'auteur de retomber sur ses pieds et nous avec, si bien que j'ai pris du plaisir à lire le livre.




Lecture commune dans le cadre du Challenge Victor Hugo avec Nathalie

et Miriam (en janvier)

lundi 16 octobre 2017

Victor Hugo : La forêt mouillée



La forêt mouillée  de Victro Hugo appartient au recueil de Théâtre en liberté. C’est une comédie en un acte écrit en 1854 pendant l'exil de Hugo à Guernesey et qu'il n'a pas jugé assez bonne à publier ! J'avoue  que je suis assez d'accord avec lui ; j’ai du mal à en voir l’intérêt si bien que je n’ai pas grand chose à en dire !
 Hugo montre ici un homme ridicule que la nature accable de sarcasmes. Le personnage Denarius (qui signifie denier et rime avec niais) «sous des apparences de contemplateur, est à l’évidence un grotesque qui se méprend entièrement sur la réalité de la vie naturelle.»  Son lyrisme est entaché de pédantisme et la nature n’a de cesse de se moquer de lui.

et cela donne ceci  :

Denarius :
Yeux purs qui vous ouvrez dans l’ombre au bleu  matin,
Douces fleurs, je ne veux aimer que vous.

Choeur des fleurs
Crétin !

Une pierre
Fossile !

L’âne
Âne !

Une grenouille
Crapaud !

Les fleurs
Porte ailleurs tes semelles !

Je sais bien que Hugo voulait écrire une comédie à la Shakespeare et que ces papillons et fleurettes qui parlent peuvent rappeler Le songe d'une nuit d'été mais on est loin de la poésie du Songe et la réflexion ne va pas aussi loin.
Le thème traité est léger, presque inexistant : Denarius n’a jamais été amoureux et a horreur des femmes qu’il accable de sarcasmes. Apparaît dans la forêt Balminette accompagnée de madame Antioche qui discutent de leur protecteur respectif. Balminette a trouvé « un vieux », riche, qui lui promet une vie somptueuse. Elle est décidé à abandonner son amant en titre Monsieur Oscar qui est pauvre.
Denarius s’amourache d’elle au premier regard. Ainsi, lui qui méprisait les femmes tombe amoureux à première vue d’une grisette vénale et sans coeur. Il s'agit donc d'une satire de ce genre d'homme qui feint d'aimer la Nature mais ne la comprend pas et qui affirme ne pas s'intéresser aux femmes mais ne les connaît pas ! Evidemment, il s'agit d'une réminiscence transposée du Songe de la nuit d'été, pièce dans laquelle la reine des Fées, Titania, tombe amoureuse d'un homme à tête d'âne.

Peut-être la pièce aurait-elle dû avoir une suite ? Telle qu’elle est, elle s’arrête là. Et il me semble que c’est bien mince pour y trouver un grand intérêt !

La pièce n’a été mise en scène pour la première fois qu’en 1930 et l’on comprend pourquoi !

 Lecture commune avec : Margotte, Nathalie






lundi 2 octobre 2017

Hans Christian Andersen : Les contes

Symbole de Copenhague : La petite sirène (source)

Pour cette Lecture commune du challenge Littérature nordique de Margotte, Hans Christian Andersen est à l’honneur avec ces contes qui, disait-il, ne s’adressent pas qu’aux enfants.
C’est dans la sélection réalisée par Garnier Flammarion que je vous présente ces textes choisis parmi les plus célèbres. Il y en a douze dans cette édition mais l’auteur en a écrit 136 en tout si bien que j’en connais fort peu finalement. Une vingtaine peut-être ? De même les romans d’Andersen sont peu lus en France bien que traduits dans notre langue et j’espère que le beau Challenge nordique de Margotte va nous permettre de combler ces lacunes.

Le petite Poucette

Quant à moi, j’avais déjà une prédilection pour les contes d’Andersen quand j’étais enfant, de La petite sirène, cette histoire d’amour triste et idéalisée, au Vilain petit canard, récit autobiographique de l’auteur, dont je trouvais la fin si consolante lorsqu’il devenait un beau cygne. Et puis, il y avait la quête onirique et poétique de la courageuse petite Gerda pour arracher Kay au baiser mortel de la Reine des neiges… Voilà pour les trois contes que je préférais. Mais j’aimais aussi beaucoup La petite fille aux allumettes dont j’ai appris, plus tard, qu’elle était un hommage d’Andersen à sa grand-mère, petite fille pauvre qui souffrait de la faim dans les rues de la grande ville, et La petite Poucette dont les épreuves finissent lorsqu’elle devient la reine des fleurs.
Enfin, je viens de lire pour la première fois pour ce challenge La Vierge des glaciers qui entre désormais dans mes coups de coeur. Ce sont les oeuvres dont je vais parler ici.

 Je laisserai de côté les autres textes car si La princesse au petit pois m’amusait, j’appréciais moins Le Briquet, La Malle volante, tirés des Mille et une nuits et les Habits de l’Empereur qui sont d’une autre veine..

La poésie du Grand Nord 

 

La reine des neiges illustration  Elena Ringo

C’est assez facile pour moi de répondre à la question :  pourquoi j’aimais tant ces contes quand j’étais enfant ? Oui, pourquoi ? J'éprouve toujours les mêmes impressions en les relisant adulte et je peux maintenant les analyser.

Dans tous mes contes préférés, je suis sensible à la poésie de l’écriture. La nature joue un si grand rôle qu’elle fait partie du récit, non seulement en lui servant de cadre mais aussi en le façonnant, en agissant sur le cours des évènements. Elle porte souvent le sens du texte.
C’est une poésie venue du Nord, faite de neige et de glace, de grands forêts et d’étendues d’eau gelée. La description du froid, de la glace et de la neige est à la fois réaliste mais aussi transfigurée, magnifiée, et se révèle symboliste comme celles des tableaux de Gustav Faejstad, peintre suédois.

Gustav Faejstad

Andersen choisit parfois de peindre le monde vue du haut, de très loin, et la vision prend une dimension cosmique : 

Ils passèrent par dessus les bois, les lacs, la mer et les continents. Il entendirent au-dessus d’eux hurler les loups, souffler les ouragans, rouler les avalanches. Au-dessus volaient les corneilles aux cris discordants. Mais plus loin brillait la lune dans sa splendide clarté. Kay admirait les beautés de la  longue nuit d’hiver. Le jour venu, il s’endormit aux pieds de la Reine des neiges.  La Reine des neiges

ou bien il décrit les choses comme vues au microscope et tout devient d’une irréelle et magique beauté.

Près de la forêt se trouvait un  grand champ de blé, mais on n’y voyait que le chaume hérissant la terre gelée. Ce fut pour la pauvre petite comme une nouvelle forêt à parcourir.  La petite Poucette

Les flocons tombaient de plus en plus drus; ils devenaient des poules blanches aux plumes hérissées.  La Reine des neiges

La neige resplendissait sous les regards; elle faisait étinceler des milliers de diamants aux reflets blancs et bleus. La Vierge des glaciers

Et oui, l’univers d’Andersen est d’une grande beauté et parle à l’imagination mais il se révèle impitoyable aux hommes. La Nature leur rappelle leur fragilité, leur petitesse et souvent leur outrecuidance quand ils osent la défier. C’est particulièrement vrai dans La Vierge des glaciers où tous les éléments de la nature, l’eau du lac, le vent de la montagne, le terrible Foehn, les avalanches, la glace, la neige sont autant de pièges tendus à l’homme.

Les Forces de la nature : des êtres immatériels

 

La petite sirène et la sorcière

Les Forces de la nature sont à l’oeuvre dans les contes d’Andersen sous forme d’entités féériques. Qu’elles représentent le Mal ou le Bien, elles sont le reflet de l’imagination du conteur nourri de contes mais aussi de sa foi dans l’au-delà et l’âme immortelle.

Les plus puissantes, les plus terrifiantes de ces incarnations de la Nature mais aussi les plus belles sont celles du froid  : la Reine des neiges et la Vierge des glaciers. Il est vain, semble-t-il de vouloir les défier, encore plus de croire leur échapper.

Dans l’intérieur du glacier, il y a des cavernes immenses, des crevasses qui pénètrent jusqu’au coeur des Alpes. C’est un merveilleux palais. Là, demeure la Vierge des glaciers, reine de ce sombre domaine. Elle se plaît à détruire, à écraser, à broyer.

Tout d’un coup le traîneau tourna de côté et s’arrêta. La personne qui le conduisait se leva : ces épaisses fourrures qui la couvraient étaient toutes de neige d’une blancheur éclatante. Cette personne était une très grande dame : c’était la Reine des Neiges.

Toutes deux sont très séduisantes et il est difficile de leur résister. Le petit Kay qui reçoit les baisers de la Reine n’est pas de taille à lutter :
Le baiser était plus froid que la glace et lui pénétra le coeur déjà à moitié glacé.

Quant à Rudy, le montagnard de La Vierge des glaciers, chasseur de chamois, capable d’escalader les pics les plus hauts, insensible au vertige et à la peur, il est capable de lui tenir tête à plusieurs reprises. Il est prêt à succomber  lorsqu’elle cherche à le séduire :

Elle était fraîche et blanche, comme la neige qui vient de tomber du ciel; elle était gracieuse comme un bouquet de roses des Alpes, svelte et légère comme un jeune chamois.

Mais il ne sera vaincu finalement que par un force supérieure, Dieu, qui se sert de la Vierge pour servir ses desseins.

Dans La petite sirène, les forces du Mal sont incarnées par la sirène sorcière qui la pousse au crime.

Mais il y a aussi des esprits légers, joyeux ou compatissants, qui aident et encouragent et permettent aux héros de surmonter leurs épreuves :

Les filles de l’air de la petite sirène, les filles du soleil qui veillent sur Rudy et Babette, le génie des fleurs qui accueille Poucette dans son royaume, les petit anges nés de la vapeur qui sort de la bouche de Gerda et se transforment en guerriers pour lutter contre la Reine des neiges.

Fantastique et réalisme

 

La petite Gerda, la petite brigande et le renne

Hans Christian Andersen est un écrivain romantique, il aime le conte fantastique, le merveilleux. Mais contrairement à la plupart des romantiques français, son style n’est ni grandiloquent, ni lyrique. Au contraire il aime les phases courtes et sobres. Sous la simplicité apparente, sous l’élégance de la phrase se cache pourtant un art savant. Ce qui fait le charme et l’originalité de son écriture, c’est le mélange entre le fantastique et le réalisme des décors.
On sait que Hans Christian Andersen qui était un grand voyageur s’est rendu célèbre pour ses récits de voyage. Or, il place l’histoire de La Vierge des glaciers dans les Alpes suisses. Les lieux sont décrits avec une grande précision. Nul doute que c’est un pays qu’il connaît bien puisque de 1850 à 1860 il se rend presque chaque année en Suisse ou en Allemagne. Et pourtant les sortilèges de la Vierge des glaciers parent ces montagnes d’une aura fantastique.


La Vierge des glaciers et ses sortilèges

Dans La Reine des neiges l’auteur nous amène jusqu’au coeur du Finnmark chez les finlandais et les lapons et si le renne est un personnage magique, il appartient malgré tout à la réalité économique du pays. De même le vilain petit canard se meut dans un paysage  nordique réel, (le Danemark peut-être ? ) et  la scène avec les enfants dans la cabane des paysans  quand il renverse le lait et se réfugie dans la baratte pourrait figurer dans une scène de la vie quotidienne. Ainsi coexistent le réel et l’imaginaire. Andersen va encore plus loin lorsqu’il utilise les objets, les plantes, les animaux familiers de la ferme ou du ciel, en les faisant parler et en les dotant de pouvoirs magiques. Le chat de Rudy lui enseigne à ne jamais avoir peur du vide; le hanneton, l’hirondelle, le crapaud, la taupe jouent un grand rôle dans la vie de Poucette, les fleurs racontent leur histoire à la petite Gerda…



Le sens des contes

 

L'amour sincère de Gerda et Kay illustration de Arthur Rackam
Quand j’étais enfant, ce que je voulais, bien sûr, c’est que les contes d’Andersen "finissent bien". C'était le cas avec Le vilain petit canard,  la Reine des neiges, la petite Poucette. Par contre, La Petite sirène, la petite fille aux allumettes "finissaient mal" et je ressentais violemment la tristesse et la mélancolie qui s’en dégageaient. J’aurais pensé la même chose de La Vierge des glaciers si je l’avais lu alors. Il y avait les contes joyeux et les contes tristes mais je les aimais tous.
A présent je me rends compte que  les réponses de Christian Andersen sont de deux sortes, l’une laïque, l’autre spirituelle mais toutes sont positives à ses yeux.

 Une réponse laïque :

Ainsi La Reine des neiges propose un dénouement heureux possible grâce à l’amour et au dévouement de la petite Gerda et à la solidarité des personnages qui lui viennent en aide. L’amour, la pureté, la sincérité des sentiments sont donc la réponse possible au Mal, encore que Gerda ait bien besoin de temps en temps d'un coup de pouce de Dieu.
Dans Le vilain petit canard, c’est l’endurance et le courage du petit canard qui rendent possible sa transformation en cygne. Ce conte initiatique sur la différence et le rejet dit aux enfants qu’il faut savoir affronter les chagrins et les difficultés de la vie et qu’ils en obtiendront un jour une récompense. Poucette, elle, est récompensée des soins qu’elle a prodiguées à l’hirondelle. Telle Perséphone enlevée à sa mère, sommée d’épouser la Taupe, créature souterraine de la nuit, elle se retrouve, après avoir séjourné aux Enfers, sur la terre, au printemps, au milieu des fleurs. 

Une réponse spirituelle

La petite sirène, La Vierge des glaciers et La petite fille aux allumettes se terminent par la mort du personnage. Et pourtant ces textes pour le religieux Andersen, fort dans sa foi en Dieu et dans sa croyance en une vie après la mort, se révèlent pleins d'espoir.
La petite sirène meurt après avoir renoncé, pour se sauver, à tuer son bien-aimé, le prince. C’est un acte d’amour. Sa récompense n’est pas sur terre mais dans les cieux. C’est pourquoi les filles de l’air viennent la chercher pour l’amener avec elles. Elle gagnera ainsi une âme immortelle, à la différence des sirènes qui n’en ont pas ! Il en est de même de la petite fille aux allumettes qui voit, avant de mourir, toutes sortes de visions merveilleuses dont celle de sa grand-mère qui vient la chercher. Promesse d’un autre monde où règne la paix et la douceur.
Mais la foi de l’auteur et l’espoir d’une autre vie sont encore plus explicitement formulés dans le conte de La Vierge :

N’est-ce pas un bonheur que de passer ainsi de l’amour sur terre aux pures joies du ciel, comme d’un seule bond ? Le baiser glacé de la mort avait anéanti une enveloppe périssable: un être immortel en sortit, prêt à la vie véritable qui l’attendait. La dissonance de la mort se résolvait en une harmonie céleste.
Appelez-vous cela une histoire triste ?

Pour tout vous dire, ma réponse est oui ! oui, c’est un histoire triste ! En bonne athée, j’ai peu changé depuis l’enfance ! Mais je suppose qu’un croyant doit avoir une autre opinion ! C’est le cas d’Andersen !

Voilà! Je finis sur ces mots !  Je ne voulais écrire que quelques lignes sur ces contes mais ils sont tellement envoûtants que je me suis laissée entraîner. Ma lecture d’adulte rejoint celle de mon enfance. On peut aimer les contes d’Andersen à n’importe quel âge, quelle que soit l’époque. Ils sont des  chefs d’oeuvre de la littérature universelle.